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Telerama, 31/08/2011 |
Gilles Macassar |
Une célébration de l’amour conjugal, portée à l’incandescence par Claudio Abbado
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«
Cet opéra me vaudra ma couronne de martyr », maugréait Beethoven,
contraint par ses amis de remettre son opéra sur le métier à plusieurs
reprises entre 1805 – première création, sous le titre Leonore – et
1814, ultime avatar, sous le titre définitif Fidelio. Pourtant, il ne
fallait pas moins que ces refontes à l’arraché et dans la douleur pour
transmuer en une parabole sur la liberté et la puissance de l’amour
conjugal un sujet anecdotique d’opéra-comique – ce qu’est la Leonore
primitive de 1789, sur un livret de Bouilly et une musique de Gaveau,
modèle français dont s’inspirent Beethoven, et ses librettistes
germaniques. Mais le grand Ludwig van, qui s’offusquait de la frivolité
des livrets retenus par Mozart, tenait au sérieux du sien, dont
l’actualité semble ne pas s’émousser au fil du temps : une femme qui
vole au secours de son mari injustement emprisonné sur une dénonciation
calomnieuse, et parvient à le libérer.
Cette dimension héroïque
et exemplaire, on en est saisi d’emblée dans le nouvel enregistrement
dirigé par Claudio Abbado, et publié à la suite de la version concert
donnée l’été dernier à Lucerne. Dès le quatuor en canon « Mir ist so
wunderbar », où chaque personnage confie en aparté son aspiration
angoissée au bonheur, la musique célèbre une action de grâce
métaphysique, le théâtre devient un autel, le chant se fait prière,
rejoignant les arabesques des quatuors à cordes « Razumovski », ou des
envolées de la Missa solemnis. C’est sans doute le privilège d’un chef
encore juvénile quoique septuagénaire, aguerri par l’expérience et les
épreuves de la vie, que de pouvoir guider ses solistes au-delà des notes
et des mots, et les porter vers une transcendance qui efface toute
frontière entre sacré et profane, intime et universel.
Le
deuxième acte, dans le cachot souterrain où croupit Florestan en
attendant la mort, déroule une passion – chemin et descente de croix,
puis résurrection, dans un sombre décor orchestral, digne des Carceri de
Piranèse ou des Caprices de Goya. Véritable figure christique,
le Florestan de Jonas Kaufmann – voix à la fois épuisée et glorieuse,
enténébrée et solaire – supplante tous ses devanciers discographiques,
même les plus célèbres – le Canadien Jon Vickers sous la direction
d’Otto Klemperer ou d’Herbert von Karajan, l’Allemand Wolfgang
Windgassen, dirigé par Wilhelm Furtwängler. Plutôt qu’une couronne de
martyr, ce Fidelio salvateur mérite une auréole de saint. De saint laïc
et démocrate. |
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