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Forum Opera, 27 Novembre 2015 |
Par Yannick Boussaert |
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Parce que c’était elle, parce que c’était lui
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Ils
s’étaient donné rendez-vous à Vienne. Lui, le ténor adulé, à qui
tous les répertoires réussissent. Elle, la soprano dramatique de
sa génération, ici en villégiature chez Puccini. Enfin réunis
donc pour une première collaboration d’importance, en rêvant,
qui sait, à de futurs sommets épiques : Walküre à la scène après
le disque, Tristan… En les attendant, ce DVD de La Fanciulla del
West capté au Wiener Staatsoper en Octobre 2013 grave
l’événement dans le marbre.
Autour du couple, Vienne a
commandé un écrin. Sans autre prétention que d’illustrer et de
faire vivre, la mise en scène de Marco Arturo Marelli n’opère
qu’une légère transposition temporelle : les baraques de tôles
au premier acte évoquent moins le Grand Ouest de la Conquête que
les débuts foutraques de l’urbanisation américaine quelques
décennies plus tard. La cabane de Minnie aurait pu être rachetée
aux producteurs de La Petite Maison dans la prairie alors que
Sierras et univers ferroviaire servent de cadre à l’épilogue de
cet opéra spaghetti. La direction d’acteur est au cordeau : le
chœur notamment où chacun semble vaquer à sa boisson, son
soliloque puis se retrouve l’instant d’après pour les scènes de
groupe : chanson de Jack Wallace ou scène de la triche par
exemple. L’acte se déroule dans une fluidité parfaite, la
première scène de séduction est un régal en gros plans, prélude
d’un deuxième acte ardent où les trois interprètes rivalisent de
justesse. Seule interrogation de taille dans cette production
agréable : pourquoi diable faire s’échapper les amants à bord
d’une montgolfière arc-en-ciel d’un ridicule achevé, gaguesque ?
Les rails du train et la promesse d’un ailleurs bienheureux
étaient là sur la droite de la scène…
Autour de Dick
Johnson et Minnie, Franz Welser-Möst privilégie la masse et
l’allure sur le détail et la truculence. Il faudra attendre les
scènes intimistes pour que l’Orchestre du Staatsoper scintille
et rende enfin justice à la partition de Puccini. Du soyeux
chœur maison, sonnant presque trop religieux pour les
fripouilles au grand cœur que sont ces mineurs, se détachent le
Nick au timbre clair de Norbert Ernst ainsi que le Sonora
chaleureux et très émouvant de Boaz Daniel. Tous les comprimari
prétendent au plus haut niveau même si l’Ashby de Paolo Rumetz
présente une voix blanchie à la limite de la justesse dans ses
dernières interventions. Le vibrato d’Alessio Arduini (Jack
Wallace) s’accorde bien avec sa chanson populaire retransmise
sur un poste de radio. Jack Rance est parfait en flic véreux et
chef de bande. Tomasz Konieczny jubile d’être ainsi grimé. Sa
voix, peu italienne dans l’esprit, torture fréquemment la
diction. Le phrasé, pas suffisamment porté et lié d’une ligne à
l’autre, nuit à l’expressivité... Mais la noirceur du timbre et
la puissance font le reste. Ce Jack remplit son contrat : il
inquiète.
Parce que c’est lui, Jonas Kaufmann est comme
un coq en pâte en cowboy. Il se glisse dans le costume de Dick
Johnson avec délectation, séducteur et enjôleur dès le départ,
amoureux très vite. Ramerrez offre moins d’occasion de filer les
sons, de chanter piano que d’autres rôles incarnés par le
Bavarois, et pourtant le personnage est aussi à la fête
vocalement : puissance, bien évidemment, mais ô combien de
suavité et de couleurs chez cet escroc. Comment résister à un
tel brigand, surtout quand le costume souligne l’athlète ?
Parce que c’est elle, Nina Stemme souffle le plateau dès son
entrée en scène. Elle est ici captée avant son passage par Paris
dans le même rôle, où bien que remarquable la voix était un peu
monolithique. Rien de tel ici ! La Suédoise défend sa Minnie
dans chaque recoin psychologique aussi bien que dans chaque
extrême de la tessiture. C’est bien une forte femme qu’elle
incarne. La voix louvoie ainsi entre métal et décibels, mais
aussi lyrisme et tendresse, comme pendant la lecture de la
Bible. Il y a des doutes et des failles dans la carapace de la
jeune femme, que la soprano rend avec la douceur nécessaire.
Forcément la rencontre des deux chanteurs tient toutes ses
promesses. Dès la scène au bar la Polka, qui déjà, rappelle les
plus grands duos d’amour pucciniens, avant qu’ils n’embrasent la
modeste habitation de Minnie et, sans mauvais jeu de mot eu
égard à la nacelle finale, ne portent cette Fanciulla del West
vers des sommets. |
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