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Forum Opera, 03 Décembre 2014 |
Par Julien Marion |
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Irrésistible ! - Du bist die Welt für mich (DVD, Blu ray)
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Sony
Classical fait bien les choses : quelques semaines après la
sortie du CD, commenté dans ces colonnes, voici désormais le DVD
du récital consacré par Jonas Kaufmann à la musique légère de
langue allemande des années 1925-1935.
On ne redira pas
ici dans le détail tout le bien qu’il faut penser de la
prestation du ténor star. Au diapason de Christophe Rizoud, on
se contentera de rappeler que ce répertoire, prétendument «
facile », se révèle en réalité redoutablement piégeur, en ce
qu’il ne tolère pas la moindre faute de goût ni le moindre
écart. Pour ceux qui échouent, la sanction est immédiate : ils
sont engloutis de manière irrécupérable dans le kitch sirupeux,
la mièvrerie de bas étage. On renverra, pour en avoir un
exemple, au dernier récital de Klaus Florian Vogt. Jonas
Kaufmann évite l’obstacle, et s’approprie ces airs avec un
naturel désarmant. Il s’appuie pour cela sur un art consommé du
dosage des nuances, se montrant tour à tour enjôleur,
langoureux, véhément, lascif, enjoué... Si le talent d’un
artiste se mesure à sa capacité à briller dans des répertoires
éclectiques, de Verdi à Lehar, à convaincre dans Otello autant
que dans Frasquita, à faire honneur à Parsifal tout comme au
Pays du Sourire, alors oui, c’est certain, Jonas Kaufmann fait
partie des plus grands.
Une fois posé ce constat que l’on
espère sans appel, qu’apporte le DVD en plus du CD paru en
septembre ? Il offre la captation d’un concert donné au Funkhaus
de Berlin en 2014, reprenant à l’identique le programme du
disque, avec toutefois une exception : le vocalement terrifiant
« Lied vom Leben des Schrenk », de Künneke, est prudemment
laissé de côté. L’image permet de vérifier ce que le son
montrait déjà d’évidence : l’affinité du chanteur avec ce
répertoire. On découvre en effet un Jonas Kaufmann visiblement à
l’aise dans cette musique, pas avare de mimiques ou de
déhanchés, esquissant ça et là quelques pas de swing (« Im Traum
hast du mir alles erlaubt », « Diwanpüppchen »...) : on
comprendrait mal que ces airs si entraînants soient, au concert,
interprétés par un Evangéliste.
Le concert filmé permet
en outre, grâce à une réalisation élégante, d’apprécier
l’architecture du Funkhaus de Berlin: ce bâtiment construit dans
les années 50 s’apparie idéalement à cette musique dont la
popularité doit précisément beaucoup à la radio.
L'image
permet, au passage, de vérifier la complicité entre les
différents interprètes présents autour du ténor : sa partenaire
Julia Kleiter, mais aussi le chef Jochen Rieder, à la direction
impeccable, idéalement souple sans jamais verser dans l’excès.
Enfin, le principal apport du DVD réside dans un
documentaire intitulé « Berlin 1930 », qui cherche à éclairer le
contexte historique et artistique dans lequel sont nées les
mélodies interprétées ici. Ce film de 50 minutes met en scène
Jonas Kaufmann à la recherche des sources de cette musique, à
travers l’exploration de sources documentaires diverses, mais
aussi grâce à des rencontres avec des descendants de certains
des compositeurs. Le tout est agrémenté d’archives sonores et
d’extraits de films d’époque qui permettent d’apprécier le
talent de quelques grands artistes immortels : Richard Tauber,
bien sûr, mais aussi Jan Kiepura ou Joseph Schmidt. Autant de
témoignages bienvenus sur cette période de reconstruction,où
Berlin et Vienne cherchaient à effacer la cicatrice du premier
conflit mondial tout comme les stigmates de la crise économique,
alors que planait déjà l’ombre du désastre à venir. On comprend
mieux, grâce à cet éclairage, l’irrépressible besoin de légèreté
qui transparaît de chacune de ces pages.
En le replaçant
très intelligemment dans son contexte, ce DVD rend donc
pleinement justice à ce répertoire qui, clairement, n’est pas de
seconde zone (merci, au passage d’avoir respecté les
orchestrations d’origine, ce qui permet d’en saisir la
subtilité). Jonas Kaufmann est pour cela le plus inspiré des
interprètes, digne continuateur des illustres anciens cités plus
haut (auxquels on ajoutera évidemment Fritz Wunderlich) et livre
de ces airs entêtants une interprétation irrésistible, véritable
antidote à la morosité ambiante.
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