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Qobuz, 23 septembre 2014 |
Par François Hudry |
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Le charme rompu et retrouvé
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Le
dernier disque de Jonas Kaufmann remet glorieusement en honneur
le répertoire des "chanteurs de charme" germaniques de
l'entre-deux-guerres, aux temps glorieux de la radio naissante
et des débuts du cinéma parlant. C'était l'époque de "l'usine à
rêves" qu'était le cinéma allemand, un des premiers du monde.
C'est aussi l'âge d'or de l'opérette et de la chanson populaire,
partagé par deux cités rivales, Vienne et Berlin, qui sera
balayé par la montée du nazisme qui chassa et voua à l'exil les
auteurs, compositeurs et chanteurs qui avaient apporté la gloire
à ce genre de musique. Quant au cinéma, il sera orienté à des
fins de propagande.
En 1926, après avoir essuyé un bide
total à Vienne, c'est l'opérette Paganini de Franz Lehár qui
triomphe, avec Richard Tauber en vedette. Un mot faible pour
évoquer la popularité de ce ténor lyrique autrichien aussi
célèbre en son temps qu'une pop-star d'aujourd'hui. Il se fait
d'abord connaître comme chanteur mozartien en interprétant
Tamino (La Flûte enchantée) et Don Ottavio (Don Giovanni), qu'il
chante pour ses débuts au Festival de Salzbourg en 1922. Mais
c'est de sa rencontre avec le compositeur Franz Lehár que nait
son incroyable carrière. Leur collaboration va voler de succès
en succès et le compositeur réservera dans chacune de ses
oeuvres un air qui mette en valeur son chanteur favori. Ces
airs, écrits sur mesure seront bientôt appelés "Tauberlieder",
une appellation qui contribue encore un peu plus à
l'extraordinaire popularité de Tauber qui enregistrera plus de
400 disques et qui composera des opérettes et des musiques de
films. Un de ses airs les plus connus reste ce "Du bist die Welt
für mich" (Tu es le monde pour moi) qui sert de titre au
magnifique album de Jonas Kaufmann. Traqué par le nouveau régime
en raison de ses origines juives, Richard Tauber quitte
l'Autriche lors de l'Anschluss pour se réfugier aux Etats-Unis.
Il mourra à Londres, en 1948, des suites d'un cancer des
poumons.
Si Richard Tauber (photo ci-dessus) est
l'auteur du fameux "Du bist die Welt für mich" c'est une autre
star qui va lui ravir la vedette lorsqu'il l'enregistre, mais en
temps que chef-d'orchestre, cédant sa place de soliste à Joseph
Schmidt, la nouvelle vedette qui parle au cœur de millions de
femmes. Trop petit pour pouvoir faire de la scène, Joseph
Schmidt (photo ci-dessous) se fait connaître grâce aux nouveaux
médias que sont la radio et le cinéma parlant. Doté d'une voix
suave et agile, grimpant facilement dans les aigus, qu'il avait
entraînée dans sa jeunesse en chantant à la synagogue, Joseph
Schmidt était un chanteur d'ascendance austro-hongroise et
roumaine. Il parlait cinq langues et sa carrière a connu un
rapide essor tant en enregistrant des airs d'opéras que
d'opérettes. Il est en tournée en France lors de l'invasion
allemande à laquelle il ne peut échapper. Après bien des
péripéties, il est interné dans un camp de réfugiés en Suisse en
1942. C'est là qu'il meurt d'une crise de cardiaque, alors qu'il
vient tout juste de recevoir un permis lui permettant de
travailler et de se déplacer librement. Il avait 38 ans.
Simultanément à la carrière de Joseph Schmidt, un autre
jeune ténor, polonais, fait ses débuts à Berlin, au cinéma, puis
au disque, Jan Kiepura, dont la haute stature et le physique
sont aux antipodes de Schmidt. Décrit comme un véritable "Eros
chantant", il déclenche de fortes sensations lorsqu'il se
produit en concert et à l'opéra, car Kiepura reste connu des
amateurs comme une des grandes voix de son temps, chantant aux
côtés des plus grands à Vienne, comme à Hambourg, Berlin, Paris,
New York ou Buenos Aires. Son physique avantageux lui permet
d'envisager une véritable carrière cinématographique dès 1931,
ce qui lui vaut une immense popularité. Sa voix,
particulièrement éclatante, avec des aigus qu'il accrochait avec
une grande facilité, lui permettait de chanter un vaste
répertoire, opéra, opérette, comédie musicale, avec le même
succès. Après l'invasion de la Pologne, Jan Kiepura (photo
ci-dessous) s'engage volontairement dans l'armée polonaise en
France pour combattre l'Allemagne. Il mourra aux Etats Unis, son
pays d'adoption, en 1966.
C'est cette époque et ce
répertoire que Jonas Kaufmann tente, avec succès, de faire
revivre sur son dernier album comme l'avait déjà fait Piotr
Beczala dans son album consacré à Richard Tauber l'an dernier.
Plus que de la nostalgie, c'est tout un pan d'un répertoire
populaire qui sort de l'oubli, symbole d'un temps où l'on
pouvait être insouciant et sans peur du lendemain. L'histoire a
montré combien les illusions sont fragiles.
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