Scènes Magazine
Eric Pousaz
 
La clemenza di Tito
Parutions EMI
Monté par Jonathan Miller dans le courant de l’hiver 2005, l’ultime chef d’œuvre de Mozart ne bénéficie pas d’une traduction scénique aussi enthousiasmante. Certes, le décor impressionnant d’Isabella Baywater fait plutôt bonne figure sur le petit écran, de même que les fabuleux costumes qu’elle a dessinés pour les cantatrices chargées de rôles féminins. Mais l’action est replacée dans les milieux élégants de l’Italie d’entre deux guerres avec smokings blancs, réceptions chic et papotages de salon. Ainsi racontée, l’intrigue ne fait pourtant plus sens car la modernisation de la transposition rend bien artificiels les rebondissements d’une histoire fortement ancrée dans les conventions du genre seria en vogue au 18e siècle. Pour une vision moderne pleinement réussie, il vaut mieux se tourner vers le spectacle monté par Kusej et Harnoncourt au festival de Salzbourg en 2005…

Néanmoins, vocalement, le spectacle zurichois emporte la palme sur l’illustre institution autrichienne ! Il partage avec Salzbourg le même Sesto, alias Vesselina Kasarova, qui réussit l’exploit de chanter avec encore plus de punch et de précision dans le petit auditorium zurichois. Son Sesto est tout simplement éblouissant, que ce soit dans la maîtrise de la vocalise, dans l’impeccable tenue de la ligne de chant, dans la ‘morbidezza’ de ses longues plaintes après la trahison (son long air d’adieu à Titus restera une des grands heures du film d’opéra…), ou encore dans l’impeccable jeu scénique qui fait rapidement oublier le travesti. Liliana Nikiteanu dans l’autre rôle travesti est scéniquement moins à l’aise, mais son Annio est vocalement bien en place et son soprano assez grave fait preuve d’un aplomb suffisant pour redonner du poids à ce personnage quelque peu sacrifié par Mozart en dépit de son importance dramatique. Eva Mei est une Vitellia plus légère que de coutume : pas de grands effets vocaux, ici, mais un travail tout en finesse sur la perversion de cette âme travaillée par le remords et l’ambition. Le chant, au lieu de se faire démonstratif, reste plutôt en retrait, comme pour mieux rendre sensible l’émoi intérieur de cette femme blessée qui se sert impitoyablement de ses proches comme d’instruments destinés ; cette fracture intérieure, qu’une voix superbement malléable exprime de troublante façon, donne un surplus de véracité au revirement final, qui n’a jamais paru aussi naturel et logique qu’ici. Malin Hartelius donne à Servilia un profil accusé, tout en restant vocalement en deçà de ses possibilités pour faire contraste avec les accès de fureur maîtrisés à l’extrême de Vitellia. Et Titus est campé par Jonas Kaufmann, un ténor qui non seulement vocalise comme un dieu, mais se comporte comme un top-modèle de la meilleure veine. Le personnage est viril, il séduit par sa beauté physique et ses allures de jeune premier, et son timbre dispose juste du mélange idoine de vaillance agressive et de suavité amoureuse pour traverser l’intrigue sans faire douter une seule seconde de la sincérité des sentiments qu’il exprime. Sans aucun doute, voilà le Titus de sa génération.

Franz Welser-Möst dirige un Mozart plutôt romantique, avec un orchestre dont l’effectif reste imposant pour un ouvrage de cette époque ; mais si les tempos sont plutôt larges et riches en effets dramatiques, la transparence de l’étoffe orchestrale et la fluidité du flux musical parviennent à nous convaincre que cet inattendu retour mozartien au genre dépassé de l’opéra seria était peut-être révélateur d’une nouvelle orientation qu’eût pu prendre le compositeur s’il eût vécu quelques années de plus. Car, dans cette interprétation, on sent déjà poindre une sensibilité musicale qui saura faire la part belle à l’expression musicale des fractures intérieures d’individus abandonnés par leur raison.x






 
 
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