Diapason 10/2016
Emmanuel Dupuy
 
Andrea Chénier
Emblème du ténor latin André Chénier ? Voire l A Covent Garden, en 2015, Kaufmann confirmait son extraordinaire capacité à s'adapter à tous les styles. Pas une once de wagnérisme dans son chant, mais un grand soleil à son zénith, faisant briller tout un arc-en ciel de nuances et de sentiments, une precision musicale, un cantabile jamais outre qui rendent l'incarnation du poète idéale. Triomphe prévisible. Westbroek, elle, n a pas l'éclat inné d'une Tebaldi ou d'une Scotto, pour ne citer que ces deux-là parmi ses devancières illustres. Et la lumière de ce grand spinto s'est un peu ternie —trop de Sieglinde et d'Isolde, sans doute —, le vibrato s'est accentué, l'aigu durci. Reste une sensibilité à fleur de peau, culminant dans une « Mamma morta » commencee en un soupir pour s'achever dans les flammes de la passion la plus exaltée.

Fier de son baryton puissant, Lucic ne fait qu'une bouchée de la tessiture éprouvante qu'impose Gérard. Même un rien monolithique, il offre un portrait aussi juste qu'attachant de ce personnage tiraillé entre idéaux politiques et désir amoureux. Si le fort temperament de Graves et Plowright ne suffit guere à compenser leur délabrement vocal, la vieille Madelon de Zilio (tiens, une Italienne), mezzo abyssal et chant au bord des larmes, met en deux mesures la salle a ses pieds.

Dans la fosse, Pappano flatte les textures d'un orchestre de Covent Garden à la cohésion supérieure, baume pour les voix et commentateur incisif d'une action ignorant les temps morts. Comme pour l'Adriana Lecouvreur qu'il signait déjà en ces lieux (DVD Decca, Diapason d'or), McVicar se garde de toute transposition — c'est heureux s'agissant d'un ouvrage à ce point inscrit dans un contexte historique. Les esprits grincheux trouveront cette manière un rien académique, mais cet art du récit sensible préserve à l'intrigue sa lisibilité, négociant finement le passage d'un Ancien Régime insouciant à la terreur révolutionnaire. Tout cela avec un soin du détail qui s'exprime autant dans la grâce des mouvements individuels que dans la fluidite des scènes de foule, les décors gentiment classiques de Robert Jones, les lumières automnales d Adam Silverman ou les costumes sans un pli de Jenny Tiramani. Ce qui fait, au final, une proposition des plus recommandable, en dépit de quelques réserves vocales.







 
 
  www.jkaufmann.info back top