Opéra Magazine, Mai 2016
PIERRE CADARS
 
Leoncavallo/Mascagni : Pagliacci/Cavalleria rusticana
 
À lui seul, il justifie l’existence de ces DVD. En abordant, l’an dernier, lors du « Festival de Pâques » de Salzbourg, les rôles de Turiddu et Canio (voir O. M. n° 106 p.43 de mai 2015), Jonas Kaufmann, une fois encore, a imposé sa marque sur un terrain tant de fois ratissé avant lui. Cavalleria rusticana et Pagliacci font en effet partie de ces attelages qui, si leurs interprètes ont du tempérament, marchent à tous les coups. Au risque d’embardées vers un naturalisme méditerranéen outrancier.

Or, c’est tout le contraire que propose le ténor allemand, en parfaite entente avec le metteur en scène et le chef d’orchestre. L’excès de vérisme, que l’on a souvent reproché à Mascagni et Leoncavallo, est ici gommé au maximum, ce refus d’un ancrage italien trop appuyé conférant à ces deux brefs opéras une dimension universelle, très loin des clichés réducteurs habituels.

À la tête de la Staatskapelle Dresden, dont on connaît depuis longtemps la haute discipline musicale, Christian Thielemann s’en tient à une lecture sobre, presque austère, en évitant tout lyrisme débridé. Une démarche qui est également celle de Philipp Stölzl, signataire d’une production génialement déroutante.

Déroutante par son choix de présenter chaque intrigue en « Polyvision », grâce à six éléments de décors agglomérés, avec actions simultanées et projections qui permettent au spectateur de suivre, en même temps, le cœur et la périphérie du récit. Géniale car le procédé fonctionne à merveille, dans l’esprit des gravures sur bois de Frans Masereel pour certains « romans en images » de l’entre-deux-guerres. Quant au jeu des interprètes, il s’apparente, par sa stylisation extrême, aux expériences théâtrales ou cinématographiques de la même époque.

Redisons-le, cette réussite ne serait pas aussi complète sans la présence d’un chanteur-acteur d’exception. Par la séduction de ses accents comme par la pertinence de son jeu, par les expressions de son visage comme par la sensualité de son timbre, Jonas Kaufmann semble, à tout moment, recréer les rôles de Turiddu et Canio. Même s’il est permis de préférer, sur tel ou tel point de détail, l’un de ses illustres prédécesseurs, il exprime globalement ce que l’on peut faire de mieux aujourd’hui dans un théâtre lyrique débarrassé de ses anciens stéréotypes.

Par la force des choses, ses partenaires apparaissent un peu en retrait. Dans Cavalleria rusticana, on n’en retient pas moins la belle prestation de Liudmyla Monastyrska, digne et vibrante Santuzza, l’assurance glaçante d’Ambrogio Maestri, Alfio mafieux à souhait, le charme naturel d’Annalisa Stroppa en Lola et la dureté voulue de Stefania Toczyska en Lucia.

Sur un strict plan vocal, la distribution de Pagliacci – à l’exception de Jonas Kaufmann, évidemment – est sensiblement inférieure. Maria Agresta compose néanmoins une attachante Nedda, sans les minauderies que l’on associe parfois au personnage. Tansel Akzeybek (Beppe) et Alessio Arduini (Silvio) s’intègrent bien dans la production, mieux que Dimitri Platanias, Tonio assez effacé.

Envisagés globalement, ces DVD nous amènent à reconsidérer ce que l’on croyait savoir depuis longtemps de deux piliers du grand répertoire lyrique. C’est dire leur importance.






 
 






 
 
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