Classics Today, France
Christophe Huss
 
Carmen
Carmen, Artistique 10/10. Technique 10/10
Cette représentation de Carmen mise en scène par Francesca Zambello à Londres a été filmée en décembre 2006. Elle paraît en même temps en DVD et Blu-Ray et, comme La Traviata de Salzbourg (Netrebko-Villazon), en tant que produit vidéo, cette parution semble règler pour un bon bout de temps la question de la suprématie dans une oeuvre phare du répertoire.

Je parle de "produit vidéo", car en ne faisant qu'écouter, on serait lassé, par exemple, de la propension endémique des choeurs à être "derrière la battue" du chef dans le premier acte. La direction assez moite (volontairement alanguie) de Pappano dans cet acte fait peser sur cette Espagne tout le poids du soleil. Et il fait chaud: dès qu'elle apparaît, Carmen-Antonacci est en sueur.

Alors qu'à Glyndebourne on se demandait si la Suédoise Von Otter allait y arriver (vraie prouesse, la réponse fut "oui"), avec Antonacci, on ne se pose même pas la question. L'adéquation de la chanteuse avec le rôle est aussi totale que celle de Norah Amsellem avec la candide Micaela (ne vous gaussez pas: les bonnes Micaela ne sont pas légion...).

Le prodige de cette représentation de Carmen est avant tout sa crédibilité physique et scénique. Carmen est un terrain propice à l'imaginaire classique mais cultivé de Francesca Zambello. C'est une très logique idée, par exemple, de marquer par un doux baiser la rencontre de Don José et Micaela (ne chante-il pas "J'aime Micaela et la prendrai pour femme"?). Sans aucune exagération ou caricature, Zambello et son équipe rendent visuelle la déchéance de Don José, officier gominé au 1er acte; pauvre hère en perdition au dernier. La prise de pouvoir de Carmen sur lui est d'autant plus palpable que Jonas Kaufmann est tout simplement extraordinaire en Don José, non seulement sur le plan vocal, mais aussi dramatique. L'expression de son visage de la Séguedille à la fin de l'acte 1 est un modèle.

En Escamillo, Ildebrando d'Arcangelo, – qui arrive à cheval; signe de la tangente actuelle, un rien zeffirellienne, de Zambello, tempérée dans le spectacle par les décors très sobres de Tanya McCallin – n'est pas en reste: enfin un Escamillo chanteur et non bonimenteur. Car tous ces vrais personnages de théâtre (y compris les comparses, notamment Jean-Sébastien Bou en Dancaïre) sont dotés de voix exceptionnelles. Le "Carmen je t'aime" de Kaufman à la fin de l'air de la fleur est tout simplement bouleversant.

La force de la représentation, qui repose heureusement sur la version Oeser avec dialogues, est aussi son grand crescendo dans lequel tous embarquent corps et âme sous la houlette d'un Pappano inspiré, qui resserre progressivement l'étau. Comme sur le plan technique, aussi, tout est de premier ordre, cette parution s'inscrit parmi les incontournables du catalogue.






 
 
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