ResMusica, 07/01/2009
Pierre Degott
 
La tragédie de Carmen
Georges Bizet (1838-1875) : Carmen. Mise en scène : Francesca Zambello. Décors : Tanya McCallin. Lumière : Paule Constable. Chorégraphie : Arthur Pita. Avec : Anna Caterina Antonacci, Carmen ; Jonas Kaufmann, Don José ; Ildebrando D’Arcangelo, Escamillo ; Norah Amsellem, Micaëla ; Elena Xanthoudakis, Frasquita ; Viktoria Vizin, Mercédès ; Jean-Sébastien Bou, Le Dancaïre ; Jean-Paul Fouchécourt, Le Remendado ; Matthew Rose, Zuniga ; Jacques Imbrailo, Moralès. The Royal Opera Chorus (chef de chœur : Renato Balsadonna). The Orchestra of the Royal Opera House, direction : Antonio Pappano. Réalisation : Jonathan Haswell. 1 DVD Decca 074 3312. Code-barre : 044007 433126. Filmé en décembre 2006 au Royal Opera House, Covent Garden. Sous-titrage en anglais, français, allemand, espagnol et chinois. Notice en anglais, français et allemand. Format image : NTSC/COLOUR/16 : 9. Format son : PCM STEREO DTS 5. 1. Zone 0. Durée : 2h32’.
Ce DVD apporte la preuve qu’il n’est pas impossible à notre époque de concilier grand spectacle, réalisme historique et couleur locale avec justesse, vérité et intensité dramatiques. La mise en scène de Francesca Zambello excelle en effet autant dans la peinture de la vie bohémienne andalouse que dans la direction d’acteurs, particulièrement soignée dans cette présentation du chef-d’œuvre de Bizet. Le spectacle montre des scènes de foule parfaitement réglées, notamment sur la place de Séville ou dans la taverne de Lilas Pastia, ici joué par une femme ! L’intensité de la tragédie vécue par les personnages du drame ressort considérablement accrue de cette confrontation entre l’apparente légèreté de la vie quotidienne et le sens profondément tragique de la vie, comme le montre de façon particulièrement efficace une époustouflante scène finale, redoutable affrontement de deux bêtes littéralement à bout, superbement rehaussé par la suggestion de la corrida, véritable mise en abyme de la situation centrale. Rarement cette scène, le clou de l’opéra, n’aura été aussi convaincante et aussi juste, dramatiquement, dans sa simplicité.

Pour réussir une telle gageure, il fallait de solides acteurs, et avec Anna Caterina Antonacci et Jonas Kaufmann, le pari était pratiquement gagné d’avance. Physiquement proche de l’idéal, le couple se déchire du premier acte au dernier dans cette folle et impossible course à la vie qui, finalement, ne trouve sa résolution que dans la mort des deux protagonistes. Toutes deux atypiques, les deux voix se prêtent finalement assez bien aux personnages du drame. Si le timbre inclassable de la belle Antonacci – davantage un falcon dramatique que le mezzo attendu – manque quelque peu de sensualité, ce manque est très largement compensé par le jeu de l’actrice, et surtout par l’intelligence musicale dont cette dernière fait preuve à tout moment. Jonas Kaufamnn, quant à lui, sait parfaitement utiliser toute sa palette de couleurs pour composer un personnage passionnant de bout en bout, autant dans sa faiblesse et dans sa fragilité que dans ses emportements.

Les autres chanteurs sont plus traditionnels, et font valoir des instruments plus riches et plus timbrés, à commencer par le luxueux Escamillo de Ildebrando D’Arcangelo, à la couleur de voix tout à fait exceptionnelle ; la Micaëla de Norah Amsellem, cette superbe soprano française qui chante si peu dans l’hexagone, fait également merveille dans un tel contexte. Tous les comprimari sont dans l’ensemble de très bonne tenue, avec une mention spéciale pour nos deux compatriotes, Jean-Sébastien Bou et Jean-Paul Fouchécourt, qui ont évidemment le mérite supplémentaire de ne pas défigurer la langue dans laquelle ils chantent…

Le chœur de Covent Garden est évidemment remarquable, même si l’on pourra regretter quelques intonations toute britanniques, notamment dans les interventions enfantines… Antonio Pappano propose une relecture juste et vibrante d’une partition qu’on croyait connaître par cœur, et dont on s’aperçoit qu’elle recèle encore d’innombrables beautés.

Un DVD qui devrait satisfaire tous les amoureux du chef-d’œuvre de Bizet, notamment dans la mesure où il permet de faire cohabiter sans le moindre heurt ce qui pourrait presque passer pour une « espagnolade » et la tragédie dans le sens le plus noble et le plus plein du terme…






 
 
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