N’ayant
pas pour habitude de tirer sur les ambulances, c’est avec beaucoup de
regrets, au moment même où Bruxelles vient de donner son feu vert à la
destruction programmée d’EMI, que je termine l’audition de ce qui risque
d’être l’une des dernières productions de cette célèbre et historique
firme.
Mais comment ne pas être étonné, surpris, abasourdi, peiné
aussi qu’une maison ayant à son catalogue depuis près de cent ans
quelques références majeures en matière autant musicale que lyrique,
diffuse une pareille réalisation. De plus la Carmen de Bizet, l’un des
ouvrages les plus joués au monde, appartenant incontestablement à
l’inconscient collectif, est heureusement escortée d’enregistrements
prestigieux qui font ici un ombrage sérieux à cette captation studio.
Cette dernière fait suite à la nouvelle production donnée au
Festival de Pâques de Salzbourg 2012. Les échos avisés de ce spectacle
donnaient déjà dans la réserve. L’enregistrement aurait pu, grâce à la
technique, la calmer. Finalement il n’en est rien. Bien au contraire.
Evidemment, les sonorités de la Philharmonie de Berlin sont toujours
aussi fastueuses et Simon Rattle sait comme personne aujourd’hui les
faire naître de cette formation exemplaire. Cela suffit-il à nous faire
passer le frisson de la sueur, de la sensualité, de la peur et du sang ?
Non ! A force de sophistication, la partition de Bizet nous arrive de
manière parfois assez carré, parfois prenant des accents chambristes
d’une belle tenue certes, mais l’essence même de cet opéra est-elle là ?
Vu l’effet produit, il est permis d’en douter. Le répertoire français
est peut-être l’un des plus subtils et « piégeux » qui existent. Il
n’ouvre pas ses bras à tout le monde et battre la mesure est largement
insuffisant. Ecoutez Michel Plasson et vous comprendrez la différence.
Ceci étant, demeure le problème des textes parlés. Le présent
enregistrement ne comprenant qu’un Français, Jean-Paul Fouchécourt
(Remendado), la suite de la distribution, Jonas Kaufmann excepté (et
encore…), nous donne à entendre des intonations dignes du meilleur du
Boulevard du crime au 19ème siècle ! Il y a ensuite le plateau. Madame
Rattle (dans le civil), alias Magdalena Kozena, ne sera jamais une
Carmen. Fraîchement accueillie à Salzbourg dans ce rôle, elle transmet à
la postérité une vision privée du moindre sens. Sa petite voix de mezzo
qui lui fait fréquenter de temps en temps Octavian et Mélisande au
milieu de ses multiples récitals, fait entendre des sons fixes et des
attaques non vibrées qui n’ont rien à voir avec ce répertoire. Se
laissant aller à des trivialités grotesques dans le dernier acte, elle
ne peut malgré tout dissimuler le faible ambitus qui est le sien et qui
rend son chant très aléatoire en termes de projection, malgré les
micros… Si Jonas Kaufmann ne nous livre pas ici son meilleur Don José
enregistré, sa suprême musicalité occulte encore une émission
barytonnante (Siegmund est passé par là) qui se tend aujourd’hui dans le
registre supérieur. Genia Kühmeier est une Micaela de routine et Kostas
Smoriginas un épouvantable Escamillo totalement inexplicable dans un
enregistrement aussi « prestigieux ».
Si les voies du Seigneur
sont impénétrables, celles des firmes de disques n’ont rien à leur
envier !
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