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Resmusica, Le 28 septembre 2012 |
par Pierre Degott |
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Magdalena Kožená ou Carmen sans Carmen
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De
Maria Callas à Angela Gheorghiu, les chanteuses les plus improbables ont
été nombreuses à vouloir s’illustrer dans le rôle de la belle cigarière,
et cela avec plus ou moins de bonheur. Si certaines Françaises que l’on
n’attendait pas ont fait plutôt belle figure – Régine Crespin à la fin
des années 70…–, et si des Espagnoles au timbre plutôt clair ont su
briller de mille feux – Victoria de Los Angeles, Teresa Berganza… –,
certains ratages ont été retentissants, soit en raison soit de
l’inadéquation des moyens vocaux – Leontyne Price, Anna Moffo, Jessye
Norman –, soit à cause d’un tempérament musical et dramatique totalement
inadapté : on pensera à l’exemple d’Anne Sofie von Otter, il y a encore
quelques saisons de cela.
C’est résolument dans cette dernière
catégorie que l’on rangera la Carmen de Magdalena Kožená, attachante
cantatrice dont personne n’aura l’audace de dire qu’elle ne sait pas
chanter. Notre belle blonde traverse la partition avec ce qui, dans un
tel contexte, ne peut passer que pour de la nonchalance, susurrant ses
beaux phrasés avec certes une musicalité consommée, mais aussi avec une
absence de niaque véritablement désarmante pour un tel rôle.
Devant un personnage autant dépourvu de sex-appeal, on comprendra qu’au
deuxième acte José préfère rentrer sagement dans sa caserne, plutôt que
de se laisser séduire par une Carmen à ce point soporifique. Et quand
José a le feu et l’ardeur de Jonas Kaufmann, on mesure encore davantage
le poids de cette regrettable erreur de distribution.
Kaufmann,
comme à son accoutumée, brûle les sillons sinon les planches, sculptant
avec art sa partie musicale et délivrant les plus belles demi-teintes
qu’il nous soit donné d’entendre aujourd’hui de la part d’un de nos
ténors. Le timbre de plus en plus barytonnant convient idéalement à la
tessiture plutôt centrale du rôle, et le portrait dramatique est une
fois encore exemplaire. Une torche vivante ! À ses côtés, la
jeune Genia Kühmeier est une Micaëla bouleversante et toujours bien
chantante, sachant elle aussi renouveler chaque phrase d’une partition
que l’on connaît certes par cœur, mais qui semble reprendre vie et sens
à chaque instant. Les autres interprètes sont tous à la hauteur de leur
partie, même si aucun ne brille particulièrement, à commencer par
l’Escamillo sans véritable charisme de Kostas Smoriginas. On louera dans
l’ensemble l’excellence du français de chacun, le seul francophone du
lot semblant être Jean-Paul Fouchécourt dont le Remendado toujours aussi
truculent commence tout de même à donner quelques signes d’usure.
Des chœurs et de l’orchestre, on ne saurait dire assez les multiples
beautés. Comme souvent, la lecture plutôt analytique de Simon Rattle
fait fi du poids de la tradition et des idées reçues, redonnant force,
jeunesse et conviction à une partition ensorcelante dont on redécouvre à
tout moment les ineffables subtilités ; réécoutez l’orchestration du duo
José/Micaëla du premier acte ! Mais on dira ce qu’on voudra, une Carmen
qui ne vibre que par son José et sa Micaëla, ce n’est pas une Carmen…
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