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ClassiqueNews, 3 septembre 2012 |
Delphine Raph |
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BIZET: CARMEN (KOZENA,KAUFMANN, RATTLE, 2012)
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Nouvelle
lecture discographique de Carmen... Pour le reste, la très haute tenue
du Berliner (qui fait de cette lecture, une version éminemment
orchestrale), le raffinement et le style de Rattle, la performance
éblouissante du couple vocal Carmen/Kozena font la réussite indiscutable
de cette nouvelle version discographique à accueillir sans réserve.
Somptueuse réalisation éditée par Emi et enregistrée à la
Philharmonie de Berlin du 16 au 21 avril 2012. Le Berliner est d'un luxe
de détails inouï: Rolls Royce instrumentale, d'une santé communicative
grâce à des musiciens tous solistes chauffés à blanc... un vent
méditerranéen, d'une formidable vitalité souffle d'un bout à l'autre des
4 actes. Alors les défaillances s'inscrivent dans d'infimes interstices:
choeurs à l'articulation accentuée, dialogues parlés restitués où perce
aussi un français stylé, plus appliqué que vraiment naturel... tout cela
n'est que vétilles tant la direction de Simon Rattle réussit une
performance magistrale où c'est surtout le chant de l'orchestre (les
cordes sont d'une précision hallucinante) qui emporte l'adhésion. C'est
assurément une excellente version d'ensemble qui marque opportunément le
10ème anniversaire de sa prise de fonction à la tête de l'Orchestre
Philharmonique de Berlin (2002). Rattle a choisi la version longue et
quasi intégrale fixée en 1964 par Fritz Oeser pour Bärenreiter
(comprenant tous les dialogues parlés et bon nombre de passages musicaux
souvent coupés).
Kozena féline, Kaufmann ensorcelant
Dans le rôle-titre, madame Rattle, soit Magdalena Kozena soi-même
endosse le personnage de la bohémienne cigarière sulfureuse: comme un
félin dévoré de l'intérieur par un feu inextinguible, la mezzo éblouit
par son intensité maîtrisée, la délicatesse murmurée et chaude
d'infinies nuances dont elle sait revêtir un chant voluptueux et humain.
Son incarnation est fascinante: proche, raffinée, d'un poli totalement
abouti ; son métal s'embrase (même si certains aigus semblent bien
faibles, en particulier dans la habanera, la note finale pour "prends
garde à toi"). Le trio des cartes souligne cette soie sombre et d'une
sensuelle étendue qui imprime au chant de la Bohémienne, sa coloration
tragique: dès le départ, Carmen est une femme libre et indépendante qui
sait qu'elle va mourir.
A ses côtés, Jonas Kaufmann fait
un sort à chaque mot: chant halluciné et hypersensible dont toutes les
nuances savent au bon moment embraser un texte qui s'alanguit: le duo
avec Micaëla éclaire son approche du rôle: ardent et tendre à la fois,
victime de sa passion dès le départ, mais lui aussi âme ardente et
passionnée. Il y a chez le ténor allemand, une
réminiscence du timbre irradié d'un John Vickers: c'est dire
l'engagement et l'intonation sidérants que diffuse sa compréhension du
personnage, à la fois romantique et d'une intelligence musicale absolue
(... " la fleur que tu m'avais jetée dans ma prison m'était restée..."
est littéralement à pleurer: innocent soudainement, transfiguré par
l'amour vécu, le ténorissimo illumine l'espace par la justesse de son
style qui jongle avec les références et les images du texte; les
couleurs intérieures qu'il sait trouver, jaillissent telle une fontaine
miraculeuse, éclairant le chant et la vérité du personnage avec une
intensité millimétrée stupéfiante: cet air est le sommet de la
réalisation). Le refus de Carmen à cette déclaration irrésistible n'en
est que plus hallucinante: Kozena impose elle aussi un chant lové dans
son délire solitaire ("non, tu ne m'aimes pas"); leur confrontation
vocale, pleinement aboutie, fait de ce tableau l'un des plus réussis de
l'opéra. Les deux protagonistes sont impeccables car en plus de
l'intensité assumée, ils demeurent élégants, fins, d'une subtilité
changeante selon les tableaux. C'est presque si face à eux, la
Micaëla de Genia Kühmeier, ailleurs straussienne exemplaire, paraît un
peu fade et étroite: la technique est impressionnante mais la jeune
femme manque de délire, de dépassement... cependant le style appliqué
peut aussi souligner son caractère sage de fille rangée.
Le
maillon faible, engorgé, sans vrai brio reste l'Escamillo du bien peu
francophile Kostas Smorigonas: absent à toute nuance, le baryton aux
côtés de ses partenaires, affiche un chant plat et monocorde, une
grisaille permanente dont on ne comprend guère que Carmen s'amourache,
abandonnant son brigadier José (en outre, les dialogues parlés avec le
toréador sont les moins propres d'un point de vue strictement
linguistique: la correctrice et responsable du chant n'a pas dû
suffisamment travailler avec le baryton). Quelle erreur de casting. Une
défaillance d'autant plus criante que certains rôles tel le Remendado de
Jean-Paul Fauchécourt (piquant et lui aussi lumineux) rétablissent par
leur éloquence française, la vérité immédiate du chant dans le flux
orchestral.
Pour le reste, la très haute tenue du Berliner (qui
fait de cette lecture, une version éminemment orchestrale), le
raffinement et le style de Rattle (à la fois détaillé et intensément
dramatique), la performance éblouissante du couple vocal Carmen/Kozena
scellent la réussite indiscutable de cette nouvelle version
discographique, à accueillir sans réserve.
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