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Forumopera, 02/05/2009 |
Sylvain Fort |
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Le melo n'est pas mort !
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Ce n’est pas la plus belle version de Madame Butterfly, mais c’est une
grande réussite. Pour nous combler tout à fait, il eût sans doute fallu un
autre orchestre. On admire le travail de détail réalisé par Pappano sur le
dosage des timbres, les couleurs (les cordes !), l’atmosphère, mais
l’orchestre ne parvient jamais à offrir tous les reflets voulus – dans une
œuvre que Puccini a spécifiquement écrite sur le mode intimiste et
impressionniste, créant une alchimie inédite de timbres et de motifs. Les
Wiener Philharmoniker de Karajan et le Philharmonia de Maazel présentaient
d’autres reflets, des irisations dont ici on ne peut que rêver.
Du reste, il n’est pas certain que Pappano lui-même soit féru de cette
science décadente des timbres et de la palette sonore. Le théâtre, voilà son
affaire. Et c’est cela qui de toute part perce dans ce disque. Les
dialogues, si importants, sont enlevés, vifs. Les protagonistes savent ce
que parler en chantant veut dire, ne se réfugiant pas dans un parlato
vulgaire, mais ménageant toujours la phrase puccinienne pour en tirer le suc
dramatique. Excellents comprimari, avec une mention toute particulière à la
Suzuki presque fragile de Shkosa, et au Sharpless à la fois austère et
humain (et faible) de Capitanucci. Ce sont eux qui font vivre les entours de
la tragédie. Eux et le chœur, dont il faut répéter ici que Balatsch a fait
probablement le plus beau chœur d’Europe.
Le drame, on le sait, est simple et avance graduellement vers l’inéluctable.
Cette progression est suggérée avec beaucoup de doigté par le chef, qui
allège le trait au début pour à la fin l’appuyer avec force. L’écriture «
psychologique » de Puccini exige cela, mais il faut savoir en réaliser la
dynamique théâtrale. Bravo Pappano.
On n’est, du coup, un peu agacé par un Kaufmann de bout en bout très
tendu et monolithique. La voix est celle d’un vrai beau ténor dramatique et
sombre. Est-ce la voix de Pinkerton ? Est-ce ce genre de chanteur qu’on
attend et qu’on voit, à la fin, se briser devant la mort de Butterfly ? Il
semble qu’un peu plus de fatuité mais aussi de tendresse, de mollesse mais
aussi de sentiment, eussent convenu davantage à ce personnage si difficile à
faire exister. Tel quel, il n’est que fringant au début, et cassant à la
fin. Reste une séduction vocale indéniable.
Toute réserve, cependant, s’effacera lorsqu’on entendra la Gheorghiu dans ce
rôle dont, à mon sens, elle livre là une gravure majeure. Majeure parce que
personnelle. Cette Butterfly n’est pas une enfant. Elle se ressent d’une vie
dont les souffrances sont enfouies et masquées par des enjouements factices,
quoique charmants. Aussi, lorsque vient la souffrance de la séparation, ce
n’est pas un apprentissage qu’elle fait, mais une redécouverte, comme la
résurgence d’un trauma. C’est ce qui transperce d’une incarnation non
douloureuse, mais comme blême et minimale. Le registre du pathos s’efface
derrière une pudeur souveraine qu’on sent lézardée et prête à rompre. Puis,
dans sa fin, le sang de nouveau afflue et sa mort, loin d’être résignée,
paraît voulue comme un héroïsme ultime et suprême, au rebours d’interprètes
qui, après avoir bien souffert, meurent dans l’abnégation. Ce que compose
Gheorghiu est, dramatiquement, extraordinaire. Nous ne lui connaissions pas
cette attention extrême aux mots eux-mêmes, à leur couleur, à leur saveur.
Elle y démontre un art quasi-schwarzkopfien du dire et de la suggestion.
Vocalement, c’est inapprochable. Aucune soprano aujourd’hui (et même hier)
n’est capable de nourrir avec autant de splendeur la région aiguë, comme si
la ligne puccinienne, à mesure qu’elle monte, se faisait plus ardente et
plus pleine. Le timbre de Gheorghiu alors se colore, la pulpe en devient
plus riche ; alors, le personnage, dans cette expansion vocale, brise ses
limites, s’avoue lui-même, offre son vrai visage – qui est surhumain. C’est
le fait d’une voix qui a su mûrir, et ne pas consumer en des hasards
scéniques des trésors que le studio seul peut nous livrer à ce point de
justesse et de beauté.
L’entente avec Pappano est parfaite. La consomption est idéale. Tout le
final est à couper le souffle, mélodramatique comme on n’ose plus, mais sans
veuleries grimaçantes : noble, déchirant, foudroyant. |
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