Opéra, mars 2009
Pierre Cadars
Une Butterfly de luxe
Angela Gheorghiu (Cio Cio-San), Jonas Kaufmann (Pinkerton), Enkelejda Shkosa (Suzukî), Fabio Capitanucci (Sbarpless) Gregory Bonfatti (Goro), Choeur et Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome, Antonio Pappano.
Ce n’est pas, tant s’en faut, le premier enregistrement de Madama Butterfly ; aussi, plutôt que de l’accabler d’emblée sous des références multiples, mieux vaut l’écouter tel qu’il se présente, tel qu’il a été voulu par une équipe réunie dans un studio romain, en juillet 2008. À une époque où la plupart des intégrales d’opéra se font lors de représentations publiques, nous retrouvons ici une qualité de son, une netteté des lignes, un soin des détails orchestraux que l’an n’entend pas toujours au hasard d’un live. En même temps, et ce n’est pas le moindre atout de ce disque, il y a ici une vie dramatique reflétant parfaitement ce qui peut se passer sur la scène d’un théâtre. Le mérite en revient d’abord à Antonio Pappano qui, décidément très à l’aise dans Puccini, sait raconter une histoire bien triste et banale sans jamais basculer dans le pathos, ni relâcher la tension. Cette construction d’architecte s’accompagne d’un travail tout aussi accompli de coloriste. On s’en rend compte en entendant ce que le chef obtient des forces de l’Académie Sainte-Cécile, certes pas le plus grand orchestre du monde, mais capable de restituer la force dramatique immédiate de la musique. À la chaleur d’un lyrisme qui ne serait qu’extérieur; Pappano préfère, de toute évidence, un constat froid, terrible, dénué d’embellissements superflus. Tout ceci aurait-il été possible sans Angela Gheorghiu? Il nous est arrivé, surtout au début de sa carrière, de reprocher à la soprano d’origine roumaine des ambitions démesurées. Force est de reconnaître ici, en studio du moins (il n’est pas question de scène pour l’instant), son adaptation idéale à un rôle qui n’est pourtant pas des plus faciles, Avec un timbre aux couleurs immédiatement reconnaissables et un instinct théâtral infaillible, cette Cio Cio-San aime, attend et meurt devant nous sans rien perdre de sa noblesse, ni de sa discrétion naturelle. Plus encore que dans le célèbre « Un bel di», c’est dans le dernier air; « Tu, tu, piccolo Iddio», que la cantatrice laisse s’épancher la chaleur; l’émotion et le lyrisme puissant qu’elle porte en elle.

À ses côtés, Jonas Kaufmann surprend d’emblée par une couleur de voix et un type d’émission assez peu italiens. Cette fermeté et cette assurance de ton ne vont pas sans quelques duretés parfois, même si, comme toujours, le ténor allemand présente d’incontestables qualités d’interprète. Ceci posé, passé le premier moment de surprise, il faut reconnaître que le personnage assez peu sympathique de Pinkerton existe, plus extérieur mais, en fin de compte, plus fragile sous cette apparence de détachement que beaucoup de ses prédécesseurs.

On retrouve la même intelligence dramatique et la même solidité chez le solide Sharpless de Fabio Capitanucci et le Gara nuancé de Gregory Bonfatti. Enkelejda Shkosa, en revanche, est une Suzuki assez terne, à la différence des choeurs et des seconds rôles, parfaitement intégrés dans un ensemble de grande qualité. Cette réussite évidente trouve donc une place de choix derrière la référence moderne que demeure la version Freni Pavarotti-Karajan, chez Decca.
Pierre Cadars
 






 
 
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