Promoteurs
de la comédie-ballet, Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et Jean-Baptiste
Poquelin, dit Molière (1622-1673) livrent à la postérité ces joyaux du
genre que sont L'Amour médecin (1665), Pastorale comique (1667), George
Dandin (1668) et Monsieur de Pourceaugnac (1669). Le 14 octobre 1670,
devant la cour de Louis XIV réunie au château de Chambord, la troupe du
dramaturge présente Le bourgeois gentilhomme, une œuvre en cinq actes
qui mêle à la prose quelques vers (pour l’entrée des ballets, signés
Pierre Beauchamps).
Près de deux cent cinquante ans plus tard, le
25 octobre 1912, Richard Strauss (1864-1949) présente au public de
Stuttgart (Königliches Hoftheater) sa tentative de faire revivre la
pièce française, laquelle est raccourcie de trois actes mais prolongée
par un opéra en un acte entièrement de sa main, Ariadne auf Naxos, en
remplacement de la fameuse turquerie d’après-diner. Déjà librettiste
pour Elektra (1909) et Der Rosenkavalier (1911), le fidèle Hofmannsthal
(1874-1929) est l’instigateur de ce projet hybride – à dessein centré
sur une héroïne récurrente du monde lyrique, depuis Monteverdi (1608)
jusqu’à Massenet (1906) –, malheureusement jugé long, coûteux et
déstabilisant.
Le musicien en est pourtant persuadé, « l’ouvrage
possède trop de charme dans sa forme et son contenu pour ne pas pouvoir
être un jour apprécié à sa juste valeur ». Au lieu de le confier avec
dépit aux oubliettes, il le remanie et donne naissance à deux œuvres
distinctes : Ariane auf Naxos, acte lyrique avec prologue, créé à Vienne
le 4 octobre 1916 (Hofoper), et Le bourgeois gentilhomme Op.60, suite
pour orchestre en neuf parties que les Viennois entendent le 31 janvier
1920.
À l’été 2012, à la Haus für Mozart, le Salzburger
Festspiele proposait une Ariadne auf Naxos quasi-originelle que nous
n’abordons pas par les habituelles coulisses d’un spectacle farfelu
[lire notre critique du DVD], mais grâce aux rouages de la création. En
effet, les personnages du Bourgeois y naissent sous l’impulsion d’un
Hofmannsthal qui divertit une jeune et attirante veuve avec elle il
partage les étapes de son nouveau travail d’écriture. L’adaptation est
signée du comédien et metteur en scène Sven-Eric Bechtolf qui livre une
première partie de spectacle sans temps mort, respectant l’ironie et la
tendresse des créateurs viennois.
Dirigeant les Wiener
Philharmoniker avec tendresse et souplesse, Daniel Harding offre une
belle ciselure chambriste, complice des voix. Ainsi, rien n’est perdu de
magnifiques ensembles : celui des créatures antiques, équilibré et riche
de timbres caractérisés – l’éclatante Eva Liebau (Naïade), Marie-Claude
Chappuis (Dryade) et Eleonora Buratto (Écho) –, et celui de la cour de
Zerbinetta – que dominent Gabriel Bermúdez (Arlequin), baryton plein de
santé, et Martin Mitterrutzner (Brighella), ténor léger à l’impact
large, plutôt que Michael Laurenz (Scaramouche) et Tobias Kehrer
(Truffaldino), moins sollicités.
Au jeu des comparaisons, on
admire également Elena Moşuc (Zerbinetta), dotée d’un aigu précis et
onctueux au service de vocalises forcément acclamées, et dont la
présence convient aux minauderies du personnage, plutôt qu’Emily Magee
(Ariane), vaillante mais humble en grave. Mis en avant par l’emballage
du produit au delà du raisonnable, Jonas Kaufmann (Bacchus) est en forme
pour son intervention d’un quart d’heure, en fin d’un spectacle où
auront aussi brillés les comédiens Regina Fritsch (Ottonie), Michael
Rotschopf (Hofmannsthal), Cornelius Obonya (Jourdain) et Thomas Frank
(Le compositeur). LB
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