Le Podcast Journal
Christian Colombeau
Une Aida pour l'éternité, un festival vocal permanent
Nouveautés discographiques: Jonas Kaufmann
Jonas Kaufmann transcende Verdi et Puccini.
 

Le ténor du moment, star de toutes les scènes de la planète fait une rentrée discographique fracassante chez Warner avec l'"Aida" de Verdi, et chez Sony avec un récital Puccini électrisant de bout en bout, léché, soyeux, d'une beauté sidérante car sans une faute de goût, Jonas Kaufmann chantant avec aise et éclat airs et duos, entouré non pas par des simples répliques, mais de vrais partenaires.
Mais, procédons par ordre.
Il est très difficile de succéder, pour "Aida", aux Solti, Muti ou Mehta, Karajan étant, par deux fois, un peu à part.
L'équipe voulue par Antonio Pappano ouvre des temps nouveaux car réunissant tout simplement ce qu'il se fait de mieux aujourd'hui pour l'opéra pharaonique de Verdi, tour de force, sans un seul chanteur italien dans les cinq rôles principaux.
Marco Spotti en Roi, Paolo Fanale en Messager et Eleonora Buratto en Prêtresse, faisant plus dans leurs percutantes apparitions épisodiques qu'une intelligente figuration dans le genre: "j'ai vu de la lumière, je suis monté"...
Choisie pour le rôle titre, Anja Harteros déploie une sensualité, rarement atteinte au disque. Amoureuse de son militaire égyptien, elle l'est et tiens à le montrer, mordante, charnelle, suave, toute de velours, très soignée dans le style, le détail, à l'ut solide, d'un abandon érotisé à l'extrême à l'acte du Nil avec des pianissimi chavirant, son timbre onctueux trouve des accents de tigresse quand il le faut dans ses affrontements avec sa rivale.
Toutes griffes dehors, d'une violence presque racinienne (Hermione!), l'Amnéris d'Ekaterina Semenchuk déploie le plus beau velours de mezzo entendu depuis longtemps. Elle aussi se montre séduisante (cette fille du pharaon sait que la partie de catch avec son esclave éthiopienne sera difficile, pour ne pas dire perdue d'avance...), impérieuse, sans poitrinage abusif, le si bémol dans la scène du jugement sera tout simplement vertigineux, comme sorti de l'âme et du cœur.
Erwin Schrott ne fait qu'une bouchée du Grand-Prêtre Ramfis. Inquiétant, insinueux (il y a quelque chose d'inquisiteur dans ses répliques), un rien monolithique certes, mais le rôle s'y prête tellement.
Cocorico! Ludovic Tézier entre au Walhalla italien avec un Amonasro cinglant, âpre, aux mots pensés, vindicatif. Mettez dans un ordinateur les voix de ses aînés, Blanc, Bianco, Guelfi, Gobbi, Sereni e tutti quanti... et vous obtenez à la fois violence et raffinement, des nuances là-aussi comme peu de sauvages vaincus savent le montrer.
Le Radamès de Jonas Kaufmann, au sourire carnassier digne du requin des "Dents de la mer", biceps proéminent, vaillance en poupe, achève de nous séduire. Son métier il le connaît.
Les moyens il les a, il tient à le montrer.
Musicalité et nuances là-aussi sont très observées, la couleur du timbre unique, les élans de sincérité héroïques fort bien venus. L'émission haute, incisive, les prouesses de souffle laissent pantois, le si bémol final solaire comme pas deux vous cloue sur place.
Une grande composition, un somptueux legs pour l'éternité.
Plantant le décor, vraie prière de soldat amoureux, "Celeste Aida" devrait être enseignée dans les écoles, les conservatoires, partout. Pour son élégance, sa générosité teintée de douceur, le respect du texte, des notes, tout simplement.
Dans la chaude acoustique de l'Auditorium Parco della Musica à Rome, Antonio Pappano s'écoute parfois mais écoute encore plus ses chanteurs, musiciens et choristes, soucieux de soutenir la réussite de chacun.
Jamais drame verdien n'aura été ainsi sublimé. D'une rigueur rythmique implacable, ne faisant aucune concession à la tradition, d'une vigueur démonstrative réjouissante (scène du triomphe aux trompettes en coulisses), d'une intensité, d'un hiératisme un peu excessif, les effets du Maestro sont toujours justifiés.







 
 






 
 
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