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Diapason, juillet 2012 |
Vincent Agrech |
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Les folies amoureuses
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Deux
bêtes de scène, Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann, rendent justice
au chef-d'œuvre vériste de Cilea. Et ravivent les amours d'Adrienne
Lecouvreur, vedette de la Comédie française, et du comte de Saxe.
Aux enregistrements historiques Olivero/ Corelli et
Scotto/Domingo, préférera-t-on désormais le couple frémissant formé
par Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann, environné d'un écrin
quasiment parfait ? La discographie réduite mais brillante
d'Adrienne Lecouvreur est à l'image d'une oeuvre qui n'a pas sur les
scènes la place qu'appelleraient ses qualités dramatiques et la
subtilité d'une écriture musicale très éloignée des clichés
véristes. Les micros rendent, à ce titre, mieux justice à la
délicatesse des nuances et des phrasés proposés par Mark Eider aux
instrumentistes et aux chanteurs, toujours conduits avec une belle
énergie, que le parterre du Covent Garden d'où j'avais assisté au
spectacle (cf. n°587).
La caméra de François Roussillon
écrase un peu, en revanche, les perspectives et trompe-l'oeil des
merveilleux décors néobaroques de Charles Edwards, et peine parfois
à saisir toutes les gradations d'éclairages jouant sur l'esthétique
de la rampe, des quinquets et des faux chandeliers. Mais elle se
rattrape en allant saisir tous les détails d'une direction d'acteurs
convoquant - dans une mine, une attitude, le reflet d'une paire de
lunettes dans l'obscurité ou le froissé d'une chemise sur une
épaule... - le souvenir de Fragonard ou de Chardin, sans jamais
figer ses protagonistes dans un tableau vivant glacé.
Quelle
sensualité au contraire dans les étreintes de ce couple, quelle
tendre humanité dans le regard du vieux régisseur ! Angela Gheorghiu
trouve en Adrienne l'un des plus grands rôles de sa carrière,
au-delà sans doute des premières Traviata dans lesquelles elle
s'était révélée. Au glamour piquant de la star, à l'intensité des
élans dramatiques, répond une voix dont la légèreté serpente sur
toute la tessiture, posant dans le grave ses accents enflammés et
sur l'aigu sa clarté de lune, portant la phrase sur le souffle avec
un contrôle absolu, des grands éclats à l'étirement d'un murmure qui
fait courir des frissons dans le dos.
Si Maurice de
Saxe n'offre pas à Jonas Kaufmann les mêmes abîmes qu'un Werther, le
beau ténor allemand s'y montre aussi passionnément investi qu'idéal
de noblesse et d'énergie vocales conjuguées - ah, ces piano qui
gardent l'assise sombre du timbre ! Le Michonnet drôle et
touchant d'Alessandro Corbelli se hisse au niveau du couple par ses
moyens de diseur, et les seconds rôles tiennent leur rang.
Somptueuse et furieuse à la fois, la Princesse de Bouillon d'Olga
Borodina réserve bien entendu des moments vocaux stupéfiants («
Acerba volutta »!) sans trouver devant la caméra la même vérité de
chaque geste que ses partenaires.
On souhaite à ce spectacle
inscrit dans la veine la plus classique, l'un des meilleurs signés
par cet homme de théâtre caméléon qu'est David McVicar, de revivre
sur d'autres scènes avec des plateaux de ce niveau - Paris semble
pressenti, le couple royal sera-t-il au rendez-vous ?
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