TUTTI magazine
Nicolas Mesnier-Nature
 
Adriana Lecouvreur (Gheorghiu, Kaufmann) DVD 10/10
 
Si, dans l'histoire de l'opéra, le mot "vérisme" est immédiatement associé au nom de Puccini, il est d'autres compositeurs moins renommés qui méritent tout autant une attention soutenue. Tel est le cas de Francesco Cilea, comme en témoigne son Adriana Lecouvreur présentée ici dans une production de la Royal Opera House aux nombreuses qualités, que Decca nous propose en DVD et en Blu-ray. Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann en sont les principaux interprètes, placés sous la baguette de Mark Elder et mis en scène par David McVicar. La réalisation est signée François Roussillon.

Les productions de la Royal Opera House de Londres ont pour caractéristique de s'ancrer souvent dans un réalisme plastique de premier degré. Pourtant, ce qui passe parfois pour du conformisme prudent et ennuyeux, est une nouvelle fois sublimé dans cet Adriana Lecouvreur mis en scène par David McVicar. Non seulement ce réalisme visuel rassurant, loin de certaines transpositions absconses de scénographes à la mode, fonctionne parfaitement, mais une pléiade de chanteurs stars l'élève à un intérêt majeur. Précisons que cette volonté de réalisme affirmée par la scène britannique, contrairement à l'aspect pompier d'anciennes productions du Met de New York, demeure constamment à taille humaine. L'atmosphère parisienne des années 1730 est captée à la façon d'un film que l'on pourrait prendre pour une fiction historique de haute qualité si la musique en était absente. Deux astucieuses mises en abyme témoigneront de l'invention dont fait preuve cette production : une représentation de "théâtre dans le théâtre" à l'Acte I, et la représentation du ballet Le Jugement de Pâris durant à l'Acte III, en fond de scène, tandis que l'action se poursuit à l'avant.

Quant aux chanteurs, difficile de trouver interprètes plus en phase avec leur rôle. Remarquables acteurs, ils donnent vie au caractère comique qui l'emporte sur le drame à l'Acte I. Le quotidien des acteurs de la Comédie Française du XVIIIe siècle prend vie : comédiens et techniciens s'agitent autour de l'actrice star, les passions se nouent et sont dissimulées tandis que les riches viennent faire leur cour. Les robes froufroutent, les parures brillent et nobles en quête d'aventures, abbé en goguette ou régisseur secrètement amoureux se livrent avec art à autant de mimiques que de gestes surfaits qui fonctionnent parfaitement auprès du spectateur.

Ce premier Acte suffit en outre à caractériser les personnages secondaires de l'œuvre. Michonnet trouve en Alessandro Corbelli un baryton qui a l'âge du rôle mais la voix mûre et toujours sûre. Au service d'Adrienne Lecouvreur, son amour non exprimé est bien porté par le chanteur qui en fait un personnage touchant et humble.
Personnages typiques d'un siècle frivole aux cloisonnements étanches, le Prince de Bouillon forme un duo exquis avec l'Abbé de Chazeuil, le religieux dévergondé. Cilea leur a consacré peu de mesures mais cette économie suffit à apporter un véritable relief dramatique. La basse Maurizio Muraro campe un Prince de comédie avec aisance et justesse, tandis que le ténor Bonaventura Bottone interprète un abbé aux abois, pétri de désirs. Aucune caricature, aucun trait forcé n'est à déplorer ici encore.

La Princesse de Bouillon, celle dont les fleurs empoisonneront l'héroïne, est entièrement vêtue de sombre. Olga Borodina use de son timbre chaud et puissant de mezzo-soprano pour incarner la noirceur de l'œuvre. On l'appréciera en particulier dans l'Acte II, nocturne et inquiétant.

Mais Adriana Lecouvreur est avant tout un opéra qui repose sur ses deux principaux interprètes. Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann forment un couple magnifique. Angela Gheorghiu incarne le rôle d'Adrienne de la même remarquable manière que les autres héroïnes de son répertoire : sans faille, avec des tenues de notes électrisantes dans les aigus forte ou chuchotées dans les moments de tendresse et d'intimité. La soprano chante et joue la frivolité, le drame et la mort à la perfection, soutenue il est vrai par la qualité de l'écriture musicale. Son parler-chanter durant la déclamation de Phèdre est un modèle du genre.

Le ténor héroïque allemand Jonas Kaufmann n'est pas en reste et sa puissance colorée, son chant extraordinairement naturel et un jeu scénique subtil servent un Maurizio idéal. Le spectateur se montrera certainement sensible à de petits détails d'interprétation, comme l'habile retournement de situation montrant Morizio, embarrassé d'une fleur, l'offrir à la Princesse à laquelle elle n'était pas destinée ! Une caméra, par un judicieux gros plan, vient souligner le comique de cette situation purement théâtrale.

L'Orchestre de la Royal Opera House se montre tout aussi à l'aise dans cette Adriana Lecouvreur que dans la remarquable et récente Traviata avec Renée Fleming. La direction de Mark Elder est idéale. Nous avions beaucoup apprécié son Billy Budd à Glyndebourne avec le London Philharmonic Orchestra, et il convient de lui attribuer une part non négligeable à la réussite de cette belle production.
 
 






 
 
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