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ClassiqueNews, 7 mai 2012 |
par Carl Fisher |
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Cilea: Adriana Lecouvreur. Gheorghiu, Kaufmann
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Londres,
Royal Opera House Covent Garden, novembre et décembre 2010: voici assurément
le chef d'oeuvre de Cilea qui a bien raison d'adapter pour l'opéra en 1902,
la pièce de Scribe, et du même titre, Adriana Lecouvreur. Il s'agit pour
Cilea de poursuivre une carrière ponctuée de premiers succès: membre de la
"jeune école" ("giovane scuola"), le musicien de fait répond aux commandes
de l'éditeur Sonzogno, lui-même pris dans une course qui l'affronte à la
puissante maison Ricordi. Cilea remporte un triomphe à Milan (Teatro Lirico)
à la création de son Adriana (novembre 1902) quand Puccini déçoit avec
Butterfly (première version, février 1904).
Ici le théâtre s'invite à
l'opéra: sur la scène les Comédiens Français jouent Bajazet de Racine. Le
XVIIè avait vu la revanche des compositeurs lyriques contre les dramaturges;
ironie de l'histoire, Racine ne se remettra jamais de la concurrence à la
Cour de Louis XIV des opéras de Lully: l'écrivain n'écrira plus de la même
manière ses drames... sans penser à des intermèdes musicaux. Au début du
XXè, Cilea, soucieux de théâtre comme tous les véristes, se penche sur un
livret aux qualités psychologiques et expressives. Choisir une pièce de
théâtre (comme Puccini le fait de Tosca) n'est pas un hasard.
Superbe production
Voici donc la sulfureuse et
amoureuse Adriana, actrice ardente dont l'art déclamatoire est un prétexte
fabuleux pour tisser l'un des rôles les plus envoûtants de la scène lyrique:
d'ailleurs, comme ses illustres aînées dont l'immense Magda Olivero ou plus
récemment Mirella Freni, Angela Gheorghiu paraît sur scène non en chantant
mais en déclamant... toute la partition se joue du passage entre les deux
mondes, théâtral et musical, la poésie qui en ressort enrichit une
perception tendre et vertigineuse par ses sommets mélodiques qui croisent
une harmonie savante, d'autant plus opportune qu'elle souligne les temps
forts de l'action.
Opéra vériste oblige, les situations dramatiques
sont superbement préservées durant le déroulement psychologique: dès son
faux air humble, où la cantatrice se dit "servante" de la scène (Io son
l'umile ancella), "la" souveraine Gheorghiu déploie son timbre de velours,
d'une irrésistible sensualité, musicalité et finesse dramatique à
l'avenant... Depuis le XVIIIè, pose, diction, inflexion du verbe... les
acteurs et les chanteurs à l'opéra sont proches des aristocrates, comme
eux... bien nés, bien éduqués: là encore Cilea exploite la similitude des
univers sociaux: les acteurs fréquentent les princes. Ainsi le Comte de Saxe
Maurizio aime la théâtreuse Adriana; mais il est aimé aussi de
l'impressionnante Princesse de Bouillon (vrai emploi d'alto haineux, jaloux,
vengeur, foudroyant au III): Olga Borodina, ailleurs, Dalila légendaire,
sait aussi, comme sa partenaire Gheorghiu, ciseler un rôle accompli qui en
fait une rivale terrifiante.
La rivalité des deux femmes fait
d'ailleurs la saveur de cette production visuellement parfaite; servie par
deux actrices chanteuses éblouissantes. Leur confrontation compose la
tension captivante d'un opéra sans temps mort, jusqu'au dénouement et son
grand air tragique, mi chanté mi déclamé du IV, où respirant les violettes
empoisonnées que lui a adressé la Princesse, Adriana expire en une scène
délirante où se dresse Melpomène, muse tragique; où jeu théâtral et réalité
se mêlent là encore: Lecouvreur ne peut mourir qu'en tragédienne.
La
mise en scène respecte avec finesse tout ce qui convoque le Paris 1730; un
air proche de Manon de Massenet; McVicar qui a réalisé ensuite, la
scénographie de l'opéra français retrouve ici un équilibre inspiré et
convaincant entre illusion et vie réelle; l'opéra étant entendu comme le
sommet des arts du spectacle, la production londonienne devient réflexion
sur les formes de la représentation, son pouvoir troublant qui ne cesse de
toucher grâce à la justesse du trio vocal principal: Jonas Kaufmann est
enivré, embrasé; Gheorghiu, plus féminine et tendre que jamais; Olga
Borodina, monstresse instigatrice, perverse certes et soupçonneuse mais elle
aussi si humaine... femme blessée et amère au fond de son coeur. Même les
comprimari sont parfaits (Alessandro Corbelli fait un Michonnet épris et
conquis comme nous par l'admirable Gheorghiu)... A Londres, l'opéra et ses
perspectives scéniques, théâtre dans le théâtre (quand Michonnet admiratif
depuis la coulisse, commente l'art d'Adriana actrice, laquelle paraît sur la
scène théâtrale, fin du I)... Tout souligne ici la magie de la scène, le
passage ténu entre illusion et enchantement... Production événement. La
référence de l'opéra de Cilea en dvd.
Seule réserve: la direction pas
assez fouillée et subtile à notre avis de Mark Elder; à ce niveau
d'incarnation vocale, il faut le meilleur. Un Prêtre, Nézet-Séguin ou
Franck... aurait autrement illuminé la fosse, d'autant que l'orchestre est
le 4è personnage d'un théâtre spectaculaire, à redécouvrir d'urgence.
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