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L'Opéra, mai 2012 |
Pierre Cadars |
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Adriana Lecouvreur
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Ce
n'est pas Adriana Lecouvreur mais Maurizio, conte di Sassonia que devrait
s'intituler cette captation, réalisée au Covent Garden de Londres, en
novembre-décembre 2010. C'est, en effet, Jonas Kaufmann surtout, que l'on
remarque et que l'on admire ! Dans un rôle auquel les plus grands ont imposé
leur marque, le ténor allemand réussit à apporter quelque chose de nouveau.
Fringant séducteur, il laisse deviner certains traits nettement moins
sympathiques de Maurizio, charmeur et conquérant certes, mais aussi
calculateur et un peu veule. Les couleurs cuivrées de son timbre, la
sensualité de ses accents ne sont pas pour rien dans le trouble qui émane de
son interprétation. À tel point que ce qu'il n'y a pas de très italien dans
sa voix - un reproche qu'on lui adresse, parfois - apparaît ici comme un
atout. Loin de la démonstration d'un chant uniquement solaire, le côté
sombre du personnage affleure en permanence.
Cela, on le
doit aussi, et pour beaucoup, à la mise en scène de David McVicar qui, tout
en respectant les contraintes du livret (cadre d'époque restitué avec un
goût parfait superbes costumes aux teintes ravissantes, éclairages d'une
qualité remarquable...} propose une réflexion particulièrement subtile sur
les rapports entre le théâtre et la vie, la représentation des sentiments et
leur expression intime. L'excellente réalisation de François Roussillon,
passant habilement de l'agitation superficielle des coulisses à la vérité
des visages, nous fait ressentir encore davantage l'intelligence de
l'approche.
Dans le même esprit, Alessandro Corbelli incarne un
Michonnet d'une sensibilité rare.Allure hautaine, voix tout à la fois
mordante et voluptueuse, Olga Borodina est tout aussi remarquable, Maurizio
Muraro et Bonaventura Bottone se montrent, en revanche, nettement plus
routiniers.
Reste l'Adriana d'Angela Gheorghiu. Comme le notait
Richard Martet dans son compte rendu du spectacle, « la projection arrogante
et le rayonnement vocal de la grande tragédienne de la Comédie-Française
font cruellement défaut, transformant ces débuts tant attendus en un
contresens, du moins pendant les trois premiers actes» (voir 0. M. n° 58 p.
46 de janvier 2011). Qu'elle soit dans les bras de son amant ou affronte, au
Il puis au III, sa rivale, c'est effectivement une soubrette minaudante
davantage qu'une lionne du théâtre que l'on découvre sous les traits,
incontestablement charmants, de la soprano roumaine. Et ni le mixage de
plusieurs représentations, ni les micros, ni les gros plans ne sauraient
changer la donne: Angela Gheorghiu a beau être une cantatrice estimable,
elle n'est pas, pour le moment du moins, une Adriana de haut vol. À la tête
d'un excellent orchestre, Mark Elder fait pourtant tout pour lui venir en
aide. A ce prix, l'opéra de Cilea conserve une grande part de son élégance
et de son charme d'époque. Il retrouve, malheureusement, beaucoup moins sa
raison d'être. |
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