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Le Temps, 28 avril 2012 |
Pierre Michot |
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Adrienne Lecouvreur ou le bouquet qui tue
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Quand l’opéra fait des miracles: sur la musique de Cilea, Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann mettent le public londonien à genoux. Et nous avec |
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Dans
ce genre improbable qu’est l’opéra, où rien n’est comme dans la réalité, où
tout n’est que convention, il est parfois des moments miraculeux, qui font
croire qu’on touche alors au sommet du théâtre: action et musique s’allient
avec le plus grand naturel, le chant apparaît comme une forme sublimée de la
parole, le physique des chanteurs rejoint idéalement leurs personnages,
leurs embrassades ne sont pas feintes, mais semblent découler d’une vraie
complicité amoureuse, leurs affrontements et leurs défis prennent une
dimension qui les hisse au degré du tragique. Dans cette production de la
fin de 2010 à Covent Garden, le miracle s’accomplit, sous la baguette
subtile de Mark Elder et dans la mise en scène attentive de David McVicar.
Le DVD en préserve le souvenir.
Est-ce parce que l’intrigue est
fondée sur des figures historiques que l’effet de réel est aussi présent?
Adrienne Lecouvreur fut une grande actrice de la Comédie-Française, où elle
débuta en 1717. Son affaire amoureuse avec le maréchal Maurice de Saxe lui
fit affronter la jalousie de la duchesse de Bouillon. Que cette dernière ait
envoyé à sa rivale un bouquet de fleurs empoisonnées qui la fit mourir,
c’est là peut-être que la légende rejoint l’histoire. De quoi fournir à
Scribe et Legouvé la matière d’une pièce (1849) qui, de Rachel à Sarah
Bernhardt, fut un succès dont l’opéra prit la relève.
Francesco
Cilea est de ces compositeurs qui, dans l’ombre de Puccini, témoignent de la
vitalité du théâtre lyrique italien au tournant du siècle. Adriana
Lecouvreur (1902) adapte la pièce française avec habileté, elle tire parti
des personnages et des situations au profit d’une musique tour à tour
virevoltante et pittoresque (les coulisses du théâtre, les salons de la
noblesse), gonflée d’émotion et amplement lyrique (les scènes d’amour).
L’écriture est magistrale, l’orchestration chatoyante, les voix s’épanchent
en gerbes généreuses ou s’affinent en phrases à fleur de lèvres.
Aux
côtés d’un Alessandro Corbelli infiniment touchant dans le rôle de
Michonnet, l’amoureux secret, et d’une Olga Borodina imposante en princesse
jalouse, le couple principal a de quoi justifier le triomphe que leur ménage
le public londonien.
La voix de cerise mûre d’Angela Gheorghiu n’a
rien perdu de sa beauté et elle habite le pathos du rôle autant que sa
fragilité: quand elle chante «un soffio è la mia voce», elle dit vrai tant
est grand son art de la ligne murmurée et du frémissement intérieur.
Quant à Jonas Kaufmann, il signe là une incarnation majeure, témoignage
supplémentaire de son aisance dans tous les répertoires, allemand, français
ou italien. Or il n’a rien des tics de certains ténors péninsulaires qui
gonflent leur voix comme une grenouille: il joue de son timbre sombre comme
d’une corde de violoncelle, il l’éclaire progressivement à partir d’une
demi-teinte toujours colorée pour affronter des aigus flamboyants. Inutile
de dire que les perles noires de ses yeux, son nez d’aristocrate et sa
toison de sauvage conviennent idéalement au personnage du beau militaire
pour qui les femmes s’entre-déchirent. |
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