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Culture Box, 29 mars 2019
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Publié par brenard
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Les "Lieder italiens" d'Hugo Wolf par le couple glamour Jonas Kaufmann-Diana Damrau
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C'est
le moins connu des grands compositeurs de lieder: Hugo Wolf.
Exact contemporain de Mahler, quatre ans de plus que Richard
Strauss. Peu prolixe, resté surtout dans l'histoire pour ses
cycles de mélodies et le dernier d'entre eux l' "Italienisches
Liederbuch" (Livre de lieder italien), auquel s'attaquent
aujourd'hui Diana Damrau et Jonas Kaufmann.
Wolf, dans la
Vienne de 1900
Schubert, Schumann, Brahms, Mahler,
Richard Strauss: la mélodie germanique (le "lied" et, au
pluriel, les "lieder") tient dans ces cinq noms. Presque. Un
sixième, le moins connu mais pas le moins important: Wolf. Hugo
Wolf. Trois Allemands, Schumann, Brahms, Strauss. Trois
Autrichiens, Schubert, Mahler, Wolf. Ne pas oublier qu'à leur
époque (le XIXe siècle pour faire rapide) l'Autriche était plus
importante que l'Allemagne. Et bien plus cosmopolite. Le père
d'Hugo Wolf vient d'Allemagne. La mère de Slovénie et, plus
anciennement, d'Italie même. Wolf naît à Windischgrätz,
aujourd'hui Slovenj Gradec, dans le pays de maman. Mais à 15
ans, Vienne, le conservatoire. La Vienne incontournable pour
quelqu'un de l'Empire? Oui, à moins d'être hongrois ou pragois.
Une centaine de lieder
N'allez pas croire pourtant
que, dans ce dernier grand recueil, Wolf va à la recherche de
ses origines. "Italienisches": pas du tout. Un Wolf déjà réduit
aux lieder malgré lui. Des oeuvres symphoniques, un
"Penthésilée": pas de succès. Des choeurs, d'autres essais
symphoniques: en vain! Un opéra, "Le corregidor": échec. Restent
les fameuses mélodies, dont les premières tentatives sont
triomphales. Wolf a 27 ans, en cinq ans c'est un déchaînement
créatif, sur des poèmes des plus grand auteurs allemands, Eduard
Mörike (53 lieder), Joachim von Eichendorff (13 lieder) et le
grand Goethe (25 lieder). Les titres sont faciles à retenir,
Goethe-Lieder, Mörike-Lieder...
Des chants populaires
espagnols et italiens
Et voilà que Wolf couronne ces
somptueux bouquets de deux recueils qui n'ont rien de
folklorique, le "Spanisches Liederbuch" et celui qui nous
concerne: l'Espagne, l'Italie. Ce sont les textes qui comptent:
poèmes populaires traduits par un Allemand, Paul Heyse, et qui
ne font que de discrètes allusions à leur pays d'origine. La
musique de Wolf, plus immédiate, plus fougueuse, que celle de
Mahler (le contemporain -Wolf, aîné de quatre mois!) répond
aussi à une construction très particulière où deux voix
dialoguent, se répondant parfois, ou parlant en parallèle.
Le recueil espagnol date des années 1889-1890; le recueil
italien, commencé aussitôt après, sera achevé en 1896.
Entre-temps excitation, exaltation, alcoolisme, vie de bâton de
chaise. Syphilis. Internement (en 1898, Wolf a 38 ans) dont il
ressort, voyageant (en Italie justement), se reposant, ne
composant plus. En octobre de la même année, tentative de
suicide par noyade. L'internement à Vienne sera définitif,
jusqu'à une pneumonie fatale en 1903.
Poèmes pour les
femmes et pour les hommes
Le modèle est Schubert, par
l'attention aux mots, la volonté que la musique transcende la
voix parlée. On ne déclame pas, on est presque dans la
"conversation musicale" chère à Richard Strauss; mais sans
jamais chercher à la reproduire, sinon à quoi servirait la
musique? Wolf préfère le mot "Gedichte" (poèmes) à celui de
"Lieder", respectant ainsi ses sources d'inspiration -les
poètes.
Mais il y a mieux -et qui nous amène à ce Cd,
reflet d'un concert donné par nos deux stars à la Philharmonie
d'Essen (ou fut créée, nous rappelle-t-on, par Mahler lui-même,
sa "6e Symphonie"): en une heure vingt à peine, 46 lieder, le
plus court de moins d'une minute, le plus long d'à peine trois.
Un couplet à chaque fois, clairement identifié pour les trois
quarts d'entre eux comme dit par une femme ou dit par un homme.
Une dizaine "sans sexe", de sorte que Damrau et Kaufmann se les
sont partagés.
La sérénade à la jeune fille et ses larmes
de sang
En voici deux. Le premier, "Ein Ständchen Euch zu
bringen": "Je viens pour vous offrir une petite sérénade, si le
maître de maison n'y trouve à redire/ Vous avez une fille bien
jolie/ Il serait bon de ne pas l'enfermer à la maison/ Si elle
est déjà au lit, je vous en prie, dîtes-lui bien de ma part: son
amoureux était ici de passage, qui nuit et jour ne pense qu'à
elle / dîtes-lui que sur un jour de vingt-quatre heures / elle
me manque pendant vingt-cinq"
Le deuxième: "Mein liebster
singt am Haus": "Mon amoureux chante dehors au clair de lune et
moi j'écoute, clouée au lit/ Je me détourne de ma mère et pleure
des larmes de sang qui coulent sans tarir/ Mes larmes forment
une rivière devant mon lit et tombent si pressées qu'elles me
cachent le matin/ C'est de nostalgie que j'ai pleuré ainsi et
mes larmes de sang m'ont rendu aveugle"
Damrau,
l'engagement, quelques dérapages
On voit la variété des
climats: se succèdent l'ironie légère, l'élégance, le drame, le
mélodrame, l'humour, la mélancolie, le sentiment, le jeu de la
séduction... et du refus. Il faut tout cela et passer de l'un à
l'autre de ces différents états d'âme... non pas à la suite
puisque le partenaire vous remplace mais en quelques instants. A
ce jeu c'est Diana Damrau qui est la meilleure.
Car il
faut en venir enfin au jugement sur cet album, qui n'est pas
aussi remarquable qu'on aurait pu l'espérer mais qui est
cependant très intéressant. Les défauts et les qualités se
rejoignent: le "live" nous rend la vie même qu'un enregistrement
de studio aurait contrainte. On sent que le public est là (on
l'entend même, assez discrètement), et l'époque de cette
musique, au style si particulier, est très bien rendue par nos
deux vedettes. Pour la variété des climats Damrau est
impeccable: son "O wär' dein Haus" cristallin et languide, son
"Schweig einmal still" très engagé, proche du Sprechgesang. Le
défaut de cet engagement (le même "Schweig...", le "Was soll der
Zorn") est que le chant dérape parfois, que les aigus, dans les
lieder les plus rapides, finissent proches du cri, sans compter
des notes détimbrées. C'est finalement dans les mélodies à la
tessiture moins périlleuse que Damrau est à son meilleur ("Wir
haben beide lange Zeit", "Wenn du, mein liebster" où le rythme
paisible lui permet de préparer ses notes hautes) et, de toute
façon, et d'un bout à l'autre, il y a une actrice.
Kaufmann: la beauté de la voix mais trop de sérieux
Pour
Kaufmann c'est un peu l'inverse: la tessiture, qui est d'un
"baryténor", ne lui pose aucun problème, à l'exception,
bizarrement, de rares aigus, peut-être parce qu'il n'est pas
constamment dans ce registre qui est le sien d'habitude. C'est
la caractérisation qui manque: pas assez de légèreté ( le
"Geselle", le "Ein Ständchen" dont j'ai donné le texte, d'un
sérieux de pape) mais dans l'élégance, la douceur, la
demi-teinte ("Nun lass uns Frieden", "Benedeit die sel'ge
Mutter..."), Kaufmann demeure un maître (admirable "Sterb'ich",
à la limite du silence).
Deutsch, remarquable
accompagnateur
Le plus remarquable des trois étant leur
accompagnateur, Helmut Deutsch, qui fait un travail remarquable
de vie, de vivacité, de poids douloureux quand c'est nécessaire:
pour comprendre l'importance du pianiste, compagnon des
chanteurs dans ce répertoire, écoutez Deutsch.
Il existe
une version plus intemporelle, celle de Fischer-Dieskau et
Schwarzkopf, parfaite de voix, presque trop. Celle de Damrau et
de Kaufmann a l'avantage, et pas seulement, d'être de son temps;
et les occasions d'écouter chez nous Hugo Wolf sont si rares...
"Italienisches Liederbuch" d'Hugo Wolf. Diana Damrau,
soprano, Jonas Kaufmann, ténor, Helmut Deutsch, piano. Un album
Erato-Warner Classics
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