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Forumopera, 19/01/2011 |
Maximilien Hondermarck |
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Beethoven. Fidelio, Munich, Bayerische Staatsoper, 8 janvier 2011 |
Jonas Kaufmann et les échafaudages
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Il est des spectacles auxquels on se prépare longtemps à l’avance : étude
approfondie et circonstanciée de l’œuvre des interprètes, passage à la
moulinette YouTube du chef d’orchestre, choix du verre de vin à l’entracte,
analyse des sorties de secours du théâtre. Tout est calibré, la soirée sera
parfaite. En théorie.
La pratique est souvent différente. Passons sur l’exécution de l’ouverture
Léonore III (de 1806, quand la version définitive est de 1814) qui, si elle
est une pièce symphonique remarquable, ne peut atteindre la concision et la
théâtralité de l’ouverture usuelle. La suppression de la plupart des
dialogues parlés, à la base même du singspiel, elle, passe plus
difficilement. Il est vrai que le livret n’est pas souvent transcendant, et
qu’il est certainement plus chic de les remplacer par des bribes de Borges
ou de McCarthy. Mais n’est-ce pas le charme indéfinissable de Fidelio que de
parler trivialement d’universel ?
Ce n’est sans doute pas la perspective retenue par Calixto Bieito, grande
figure provocatrice de l’opéra européen depuis une dizaine d’années. Appelé
par toutes les scènes avant-gardistes du continent en mal de scandale, le
metteur en scène semble s’être calmé depuis son Enlèvement au Sérail
berlinois déconseillé aux moins de 18 ans. En tout cas en ce qui concerne la
nudité. Partant d’une bonne intention (la prison mentale est plus forte
encore que la prison réelle), le metteur en scène catalan aligne sur un
plateau deux labyrinthes verticaux de verre et de métal*, où les
protagonistes courent, se bousculent et se perdent pendant trois heures,
comme livrés à eux-mêmes, dans la direction d’acteur la plus inexistante qui
soit. Il faut ajouter à cela les automatismes d’un théâtre contemporain gavé
de zapping audiovisuel et de relativisme décomplexé, et dont le sommet
réside dans la transformation de Don Fernando en Joker tout droit sorti du
dernier film de la franchise Batman (un aperçu dans la « bande-annonce » de
la production, ici : http://www.youtube.com/watch?v=1q7Wn4B5e4g).
Comme souvent dans ce cas de figure – et c’est le plus rageant – la
distribution n’appelle quasiment que des éloges. Le Florestan de Jonas
Kaufmann est, comme attendu, époustouflant. Déjà remarquable dans le disque
qu’il consacrait en 2009 au répertoire allemand, son « Gott ! welch Dunkel
hier ! » est ici de l’ordre de l’ahurissement : a-t-on souvent vu un
crescendo comme un tsunami, une telle maitrise technique, un tel engagement
au service de la langue ? Il forme avec la Léonore d’Anja Kampe un couple
musical idéal, dans un même souci de compréhension et d’incarnation du
texte. La soprano germano-italienne, ovationnée aux saluts, n’a peut-être
pas la puissance de l’héroïne de Beethoven, elle en a en tout cas le
caractère. Sa belle voix riche, ombragée est certainement la révélation de
cette soirée munichoise. Wolfgang Koch nous surprend avec un Pizzaro plus
léger que féroce, loin des poncifs du rôle, aidé par une ligne de chant
parfaitement limpide. Un peu plus problématique est la prestation de
Franz-Josef Selig, qui, s’il a parfaitement la voix de l’emploi, ne va pas
chercher plus loin qu’un service minimum après tout assez ennuyeux : on
cherche encore le feu dans ses yeux et dans nos oreilles.
La direction de Daniele Gatti souffre d’un manque de parti-pris : une jambe
sur la digue mozartienne, l’autre sur la rive wagnérienne, l’orchestre ne
saura jamais sur quelle plage débarquer. Le résultat n’est pas indécent,
simplement en deçà des attentes placées dans la phalange bavaroise,
particulièrement concernant les vents, inconstants. Le chœur ne souffre pas
de cette indécision, il est superbe (et particulièrement agile lorsqu’il
s’agit d’escalader des échafaudages bancals…).
En bref, une soirée musicalement réjouissante, théâtralement consternante.
Consternation dédoublée lorsque l’on sait le vivier de jeunes metteurs en
scène capables et stimulants. L’opéra n’a besoin ni du formole ni de la
provocation déstructurée. Le premier paralyse ; la seconde monopolise
l’attention médiatique, déjà faible. Les deux risquent de gâcher ce que nous
avons de plus précieux à portée d’oreille : la musique, qui n’a certainement
jamais été aussi bien servie qu’aujourd’hui.
Maximilien Hondermarck
* En guise de préambule à l’acte II, l’un des deux basculera à
l’horizontale, à grands renforts de bruitages mécaniques, et sous les
applaudissements ricanants d’un public manifestement agacé… |
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